PAM vous emmène chez Catherine Vélienne. une voix forte du séga, engagée pour l’émancipation des femmes. Troisième épisode de notre voyage dans le séga mauricien.
Catherine Vélienne a été redécouverte récemment grâce à la compilation « Soul sock sega » du tandem réunionnais la Basse tropicale dans laquelle elle figure. Moins connue que ses consoeurs Marie-Josée Clency, Linzy Bacbotte, Nancy Dérougère ou Laura Beg,
la ségatière est originaire de Montagne blanche, au centre-est de l’île. Plus tard, avec son mariage, elle a déménagé dans le sud. Catherine, c’est en réalité le nom de sa famille. « Mon vrai prénom c’est Vélielle mais quand j’ai enregistré mon premier 45 tours ça a été mal orthographié en Vélienne. J’ai gardé ce nom d’artiste. » Vous avez suivi ?
La petite Vélielle entendra peu de ségas joués à la radio, mais un titre la marque à tout jamais, Papitou de Ti Frère, le roi du séga mauricien. Elle-même commence à chanter du séga, avec l’accord de ses parents, sur la propriété sucrière où travaille alors sa famille. « La première animation que j’ai faite, je n’avais pas de danseuse. J’étais avec une camarade d’école qui battait la ravanne. » Cet instrument de percussion est consubstantiel du séga avec le triangle et la maravanne. Les débuts sont rudimentaires : un micro, et en fait de scène le duo se produit… sur un camion. Elle chante aussi « lors de fêtes agricoles à Grand Baie, dans le nord, à la fin des années 1960. » À l’époque, les chanteuses de séga sont peu nombreuses. « En dehors de moi je ne vois que Josyane Cassambo, Marie-Josée Clency et Jeanine Lebout. » (décédée en 2016, NDLR).
Pour sa génération, l’éducation est stricte: « danser ou chanter le séga, surtout pour une femme, c’était mal vu. Je devais être accompagnée de mon grand frère pour aller au bal. Je n’avais le droit de partir seule à aucune fête. »
La jeune femme est blanchisseuse, couturière, exerce plusieurs métiers dans des conditions souvent pénibles. Ce quotidien lui inspirera plus tard « Séga l’usine », texte qu’elle enregistrera sur K7. « L’histoire d’une ouvrière qui se lève à quatre heures tous les matins. Elle doit prendre le bus pour aller au travail. Toute la journée elle ressent la vibration de la machine jusqu’à ce que son ventre fasse mal. Elle doit consulter un médecin ».
Mais ses débuts professionnels viendront de l’association Fraternelle, gérée par son beau-frère qui la met au défi: « Est-ce que vous croyez que je n’en suis pas capable ? » dit-elle en relevant le gant. Fraternelle a trois animateurs : Roméo, Michel Legris et elle-même qui « metlafaya » (l’ambiance en créole mauricien) sur la plage de Mont-Choisy. Michel Legris qui deviendra un ségatier renommé lui donnera le conseil suivant: « Ne perds pas l’espoir dans la musique. Fais ce que tu te sens capable de faire. Fonce ! N’écoute pas ceux qui te critiquent. » Comme il ne savait pas lire, à chaque sortie d’album de la ségatière, il lui envoyait un message par ses enfants : « Papa te félicite ». Malheureusement, le jour de son décès le 30 janvier 2015, Catherine Vélienne est en France et ne pourra assister à son enterrement.
Trois 45 tours
Mais revenons à l’époque de la Fraternelle. Avec l’association, elle grave un premier disque 45 tours « Séga fraternelle » en 1969. La face B est une chanson écrite d’un trait pour les besoins de la séance « Marsan sorbet », l’histoire d’un marchand de glaces de la cité où habite Catherine. Le disque a été gravé dans la maison du ségatier Claudio Veeraragoo, interprète du célèbre « Anbalaba », qui en signe les arrangements : « Avec les 225 roupies de cachet que j’ai eu de Damoo, le label, pour le disque, je me suis acheté une machine à coudre », sourit Catherine. Ensuite, survient un deuxième 45 tours enregistré avec les Flibustiers : « Quelle est jolie mon doudou » et « Joli garçon ». Cette dernière chanson parle « d’un beau gars dans la cité de dix-sept ans qui fréquentait une fille de quatorze ans. Elle est tombée enceinte de lui. La maman du jeune homme l’a obligé à l’amener à la maison. Toutes les filles qu’il voyait il fallait qu’il les aie. Tous les samedis il allait dans les bals faire le joli coeur avec les filles. Le lendemain, il rejoignait ses copains dans la cité et disait du mal des filles qu’il avait dragué. »
Le troisième disque « Mo mari fini allé » / « Pa bisin qui to père » est le plus abouti. Il est enregistré chez Capricorne en 1971 avec comme musiciens Eric Nelson à la guitare et son frère John Kenneth Nelson, aujourd’hui disparu. « On n’avait toujours pas de studio, c’était enregistré à la maison à côté du bureau du producteur monsier Saint-Bertin rue royale à Port-Louis .» « Pa bisin qui to père »,c’est histoire d’une jeune fille abandonnée par son fiancée venu de l’île Rodrigues, la plus petite des îles de l’archipel des Mascareignes, rattachée à l’île Maurice. Tout d’un coup il prend son bateau et s’en va. La pauvre fille pense qu’il est parti se promener. Elle finit par apprendre qu’il est déjà marié là-bas. Puis, le garçon revient à Maurice voir la fille. Elle lui dit : « Qu’est-ce que tu es parti faire? » L’épisode bien réel est une conversation surprise par Catherine et dont elle a retrancrit ce qu’elle pouvait !
Une deuxième carrière
Pendant vingt ans, Catherine Vélienne restera en retrait de la scène musicale, vivant comme couturière à son compte, achetant la toile à un marchand, cousant et vendant le produit de son labeur. Mais la ségatière ne cesse jamais d’écrire et remplit plusieurs cahiers avec une cinquantaine de chansons.
Puis, elle enregistre sa première cassette audio en 1992. Il y en aura trois puis des CD et plusieurs clips vidéos. Discrètement mais sûrement, l’artiste s’autoproduit : « Je fais tout toute seule, je paye le studio. Je vends mes disques en porte-à-porte sur les marchés comme à Bambous, où vivent mes deux danseuses. » Catherine est une femme engagée, elle a soutenu la gauche et le parti le Mouvement militant mauricien de Paul Bérenger avant de prendre ses distances. Parmi ses chansons récentes, de nombreux textes portent haut la cause des femmes comme « Assé baté », l’histoire d’une femme battue par son mari. « Je fais partie d’une association SOS femmes à Cure-Pipe. J’ai entendu des témoignages terribles de femmes. Le président de l’association a apprécié cette chanson. » « Fifty fifty » est un texte sur l’égalité homme-femme qu’elle chante le 8 mars, pour la journée internationale du droit des femmes « Avant l’année 75 bann famn bisin rest la caz. » (Avant l’année 1975, les femmes devaient rester à la maison).Depuis les années 1976-1977 de nouveaux droits sociaux ont été accordés aux femmes à l’île Maurice, éducation gratuite, logement et emploi. Pendant longtemps les maris ne voulaient pas qu’elles travaillent : « Reste la caz faire l’ouvraz » (Reste à la maison, fais le ménage) Sur ce thème, son meilleur séga est sans doute « Dibouté femme » (debout femme) qui milite pour l’égalité salariale et la parité en politique : « Femme dibouté dire oui nou fières nou majorité dans nou ti pays. Nou pa la ziste pou dépanne zhomme dans la caz dans la société. (…) Femme dibouté nou lève la voix nou rode nou place dans la société. »
Une autre chanson « Montagne Le Morne » porte sur la commémoration de l’abolition de l’esclavage à Maurice le 1er février 1835 dont cette montagne classée au patrimoine mondial de l’UNESCO est le lieu emblématique : « J’ai essayé de chanter ce sujet d’une autre manière que la chanson Le Morne de Cassiya qui évoque la chute des corps d’esclaves marrons de la montagne. Je dis que les gens qui déposent des fleurs en leur honneur rient et sont contents. » Enfin, la chanson « Superstition » aborde sur un registre comique les superstitions des anciens du genre: « N’ouvre pas un parapluie dans la maison ce n’est pas bon. Tu n’arriveras pas à te marier. »
En 2016, Catherine Vélienne s’est produite au festival Rio Loco à Toulouse sur l’initiative du producteur Percy Yip Tong, avec Marie-Josée Clency, Menwar et Roland Fatime.
« C’était mon rêve de jouer à l’étranger. C’est un souvenir inoubliable, j’ai chanté devant mon fils et mes deux petits-enfants qui vivent à Toulouse. »
Pour la suite, elle aimerait faire un disque avec des compositions originales et au moins deux reprises, une de Serge Lebrasse et Toi qui pars de Marie-Armande Moutou. Son conseil aux jeunes ? Écrire de bons textes, de bonnes histoires d’aujourd’hui. « Si tu racontes qu’un gars est allé à Port-Louis, il faut savoir décrire en détail ce qu’il fait de sa journée de A à Z. » Avis aux amateurs !